Le goût de l’herbe

Les sirènes hurlantes des usines et le déferlement des ouvriers en bleu de travail se ruant à l’extérieur des grilles, à pied ou en vélo, me surprenaient toujours en plein jeu à l’autre bout de la cité, très loin de chez moi me semblait-il. Comme je n’avais à cette époque aucune conscience de l’écoulement du temps, je n’anticipais jamais l’incident qui, du lundi au samedi, venait invariablement abimer la fin de ma journée. C’était à chaque fois une course éperdue et solitaire jusqu’à la maison, où j’arrivais en pleurs, accueillie le plus souvent par les quolibets des commères sur le pas de leur porte, qui prenaient un malin plaisir à ce rituel pathétique.
Pourtant, tous les jours, je filais rejoindre les autres gamins pour des aventures sans fin dans les champs qui persistaient ça et là au milieu des maisons, enclaves de liberté, insolents, rouges et jaunes en été à cause des coquelicots et des boutons d’or, grandioses à mes yeux d’enfant ! Ces champs embellissaient ma vie d’odeurs, de bruits et de couleurs.
Aujourd’hui quand j’entends les sirènes hurlantes des usines, je sens la caresse du vent sur mon visage et le goût de l’herbe dans ma bouche…

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